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cessité qui nous a été imposée de pourvoir à notre existence ; et que peut-on concevoir de plus propre à modifier l’état social des peuples que ce qui modifie toutes les facultés humaines ?

Cette considération, toute grave qu’elle est, a été si peu observée, que je dois m’y arrêter un instant.

Pour qu’une satisfaction se réalise, il faut qu’un travail ait été exécuté, d’où il suit que la Spoliation, dans toutes ses variétés, loin d’exclure la Production, la suppose.

Et ceci, ce me semble, est de nature à diminuer un peu l’engouement que les historiens, les poëtes et les romanciers manifestent pour ces nobles époques, où, selon eux, ne dominait pas ce qu’ils appellent l’industrialisme. À ces époques on vivait ; donc le travail accomplissait, tout comme aujourd’hui, sa rude tâche. Seulement, des nations, des classes, des individualités étaient parvenues à rejeter sur d’autres nations, d’autres classes, d’autres individualités, leur lot de labeur et de fatigue.

Le caractère de la production, c’est de tirer pour ainsi dire du néant les satisfactions qui entretiennent et embellissent la vie, de telle sorte qu’un homme ou un peuple peut multiplier à l’infini ces satisfactions, sans infliger une privation quelconque aux autres hommes et aux autres peuples ; — bien, au contraire, l’étude approfondie du mécanisme économique nous a révélé que le succès de l’un dans son travail ouvre des chances de succès au travail de l’autre.

Le caractère de la spoliation est de ne pouvoir conférer une satisfaction sans qu’une privation égale y corresponde ; car elle ne crée pas, elle déplace ce que le travail a créé. Elle entraîne après elle, comme déperdition absolue, tout l’effort qu’elle-même coûte aux deux parties intéressées. Loin donc d’ajouter aux jouissances de l’humanité, elle les diminue, et, en outre, elle les attribue à qui ne les a pas méritées.