Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/584

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elles se systématisent. Il est des pays, par exemple, où les hommes qui les gouvernent sont fortement convaincus que la prospérité des peuples se mesure, non par les besoins satisfaits, mais par les efforts quels qu’en soient les résultats. La division du travail aide beaucoup à cette illusion. Comme on voit chaque profession s’attaquer à un obstacle, on s’imagine que l’existence de l’obstacle est une source de richesses. Dans ces pays, quand la vanité, la futilité, le faux amour de la gloire sont des passions dominantes, provoquent des désirs analogues et déterminent dans ce sens une portion de l’industrie, les gouvernants croiraient tout perdu si les gouvernés venaient à se réformer et se moraliser. Que deviendraient, disent-ils, les coiffeurs, les cuisiniers, les grooms, les brodeuses, les danseurs, les fabricants de galons, etc. ? — Ils ne voient pas que le cœur humain contiendra toujours assez de désirs honnêtes, raisonnables et légitimes pour donner de l’aliment au travail ; que la question ne sera jamais de supprimer des goûts, mais de les épurer et de les transformer ; que, par conséquent, le travail suivant la même évolution pourra se déplacer, non s’arrêter. Dans les pays où règnent ces tristes doctrines, on entendra dire souvent : « Il est fâcheux que la morale et l’industrie ne puissent marcher ensemble. Nous voudrions bien que les citoyens fussent moraux, mais nous ne pouvons permettre qu’ils deviennent paresseux et misérables. C’est pourquoi nous continuerons à faire des lois dans le sens du luxe. Au besoin, nous mettrons des impôts sur le peuple ; et, dans son intérêt, pour lui assurer du travail, nous chargerons des Rois, des Présidents, des Diplomates, des Ministres, de Représenter. » — Cela se dit et se fait de la meilleure foi du monde. Le peuple même s’y prête de bonne grâce. — Il est clair que, lorsque le luxe et la frivolité deviennent ainsi une affaire législative, réglée, ordonnée, imposée, systématisée par la force publique, la loi de