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être laborieux, sobres, économes, généreux, savants, dévots ; mais je puis légitimement les forcer à être justes.

Par la même raison, la force collective ne peut être légitimement appliquée à développer l’amour du travail, la sobriété, l’économie, la générosité, la science, la foi religieuse ; mais elle peut l’être légitimement à faire régner la justice, à maintenir chacun dans son droit.

Car où pourrait-on chercher l’origine du droit collectif ailleurs que dans le droit individuel ?

C’est la déplorable manie de notre époque de vouloir donner une vie propre à de pures abstractions, d’imaginer une cité en dehors des citoyens, une humanité en dehors des hommes, un tout en dehors de ses parties, une collectivité en dehors des individualités qui la composent. J’aimerais autant que l’on me dise : « Voilà un homme, anéantissez par la pensée ses membres, ses viscères, ses organes, son corps et son âme, tous les éléments dont il est formé ; il reste toujours un homme. »

Si un droit n’existe dans aucun des individus dont, pour abréger, on nomme l’ensemble une nation, comment existerait-il dans la nation ? Comment existerait-il surtout dans cette fraction de la nation qui n’a que des droits délégués, dans le gouvernement ? Comment les individus peuvent-ils déléguer des droits qu’ils n’ont pas ?

Il faut donc regarder comme le principe fondamental de toute politique cette incontestable vérité :

Entre individus, l’intervention de la force n’est légitime que dans le cas de légitime défense. La collectivité ne saurait recourir légalement à la force que dans la même limite.

Or, il est dans l’essence même du gouvernement d’agir sur les citoyens par voie de contrainte. Donc il ne peut avoir d’autres attributions rationnelles que la légitime défense de tous les droits individuels, il ne peut être délégué que pour faire respecter les libertés et les propriétés de tous.