Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Nous avons vu que le progrès consiste à faire concourir de plus en plus les forces naturelles à la satisfaction de nos besoins, de manière qu’à chaque nouvelle époque, la même somme d’utilité est obtenue en laissant à la Société — ou plus de loisirs — ou plus de travail à tourner vers l’acquisition de nouvelles jouissances.

D’un autre côté, nous avons démontré que chacune des conquêtes ainsi faites sur la nature, après avoir profité d’abord plus directement à quelques hommes d’initiative, ne tarde pas à devenir, par la loi de la concurrence, le patrimoine commun et gratuit de l’humanité tout entière.

D’après, ces prémisses, il semble que le bien-être des hommes aurait dû s’accroître et en même temps s’égaliser rapidement.

Il n’en a pas été ainsi pourtant ; c’est un point de fait incontestable. Il y a dans le monde une multitude de malheureux qui ne sont pas malheureux par leur faute.

Quelles sont les causes de ce phénomène ?

Je crois qu’il y en a plusieurs. L’une s’appelle spoliation, ou, si vous voulez, injustice. Les économistes n’en ont parlé qu’incidemment, et en tant qu’elle implique quelque erreur, quelque fausse notion scientifique. Exposant les lois générales, ils n’avaient pas, pensaient-ils, à s’occuper de l’effet de ces lois, quand elles n’agissent pas, quand elles sont violées. Cependant la spoliation a joué et joue encore un trop grand rôle dans le monde pour que, même comme économiste, nous puissions nous dispenser d’en tenir compte. Il ne s’agit pas seulement de vols accidentels, de larcins, de crimes isolés. — La guerre, l’esclavage, les impostures théocratiques, les priviléges, les monopoles, les restrictions, les abus de l’impôt, voilà les manifestations les plus saillantes de la spoliation. On comprend quelle influence des forces perturbatrices d’une aussi vaste étendue ont dû avoir et ont encore, par leur présence ou leurs traces profondes, sur