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lui, je lui citai des opinions exprimées dans le Traité de la population, et je crus m’apercevoir qu’il n’en avait aucune connaissance. Je lui dis : « Vous, qui avez réfuté Malthus, ne l’auriez-vous pas lu d’un bout à l’autre  ? » — « Je ne l’ai pas lu du tout, me répondit-il. Tout son système est renfermé dans une page et résumé par la fameuse progression arithmétique et géométrique : cela me suffit. » — « Apparemment, lui dis-je, vous vous moquez du public, de Malthus, de la vérité, de la conscience et de vous-même…. »

Voilà comment, en France, une opinion prévaut. Cinquante ignares répètent en chœur une méchanceté absurde mise en avant par un plus ignare qu’eux ; et, pour peu que cette méchanceté abonde dans le sens de la vogue et des passions du jour, elle devient un axiome.

La science, il faut pourtant le reconnaître, ne peut pas aborder un problème avec la volonté arrêtée d’arriver à une conclusion consolante. Que penserait-on d’un homme qui étudierait la physiologie, bien résolu d’avance à démontrer que Dieu n’a pas pu vouloir que l’homme fût affligé par la maladie ? Si un physiologiste bâtissait un système sur ces bases et qu’un autre se contentât de lui opposer des faits, il est assez probable que le premier se mettrait en colère, peut-être qu’il taxerait son confrère d’impiété ; — mais il est difficile de croire qu’il allât jusqu’à l’accuser d’être l’auteur des maladies.

C’est cependant ce qui est arrivé pour Malthus. Dans un ouvrage nourri de faits et de chiffres, il a exposé une loi qui contrarie beaucoup d’optimistes : Les hommes qui n’ont pas voulu admettre cette loi ont attaqué Malthus avec un acharnement haineux, avec une mauvaise foi flagrante, comme s’il avait lui-même et volontairement jeté devant le genre humain les obstacles qui, selon lui, découlent du principe de la population. — Il eut été plus scientifique de prouver