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Malthus ne croyait donc jamais faire assez pour engager les hommes à la prévoyance ; plus il était philanthrope, plus il se sentait obligé de mettre en relief, afin de les faire éviter, les conséquences funestes d’une imprudente reproduction. Il disait : Si vous multipliez inconsidérément, vous ne pourrez vous soustraire au châtiment sous une forme quelconque et toujours hideuse : la famine, la guerre, la peste, etc… L’abnégation des riches, la charité, la justice des lois économiques ne seraient que des remèdes inefficaces.

Dans son ardeur, Malthus laissa échapper une phrase qui, séparée de tout son système et du sentiment qui l’avait dictée, pouvait paraître dure. C’était à la première édition de son livre, qui alors n’était qu’une brochure et depuis est devenu un ouvrage en quatre volumes. On lui fit observer que la forme donnée à sa pensée dans cette phrase pouvait être mal interprétée. Il se hâta de l’effacer, et elle n’a jamais reparu dans les éditions nombreuses du Traité de la population.

Mais un de ses antagonistes, M. Godwin, l’avait relevée. — Qu’est-il arrivé ? C’est que M. de Sismondi (un des hommes qui, avec les meilleures intentions du monde, ont fait le plus de mal) a reproduit cette phrase malencontreuse. Aussitôt tous les socialistes s’en sont emparés, et cela leur a suffi pour juger, condamner et exécuter Malthus. Certes ils ont à remercier Sismondi de son érudition ; car, quant à eux, ils n’ont jamais lu ni Malthus ni Godwin.

Les socialistes ont donc fait de la phrase retirée par Malthus lui-même la base de son système. Ils la répètent à satiété : dans un petit volume in-18, M. Pierre Leroux la reproduit au moins quarante fois ; elle défraye les déclamations de tous les réformateurs de deuxième ordre.

Le plus célèbre et le plus vigoureux de cette école ayant fait un chapitre contre Malthus, un jour que je causais avec