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En effet, un homme rend un service actuel. Sa volonté est de ne recevoir que dans dix ans le service équivalent. Voilà une valeur dont il se refuse la jouissance immédiate. Or le caractère de la valeur, c’est de pouvoir affecter toutes les formes possibles. Avec une valeur déterminée, on est sûr d’obtenir tout service imaginable d’une valeur égale, soit improductif, soit productif. Celui qui ajourne à dix ans la rentrée d’une créance, n’ajourne donc pas seulement une jouissance ; il ajourne la possibilité d’une production. C’est pour cela qu’il se rencontrera dans le monde des hommes disposés à traiter de cet ajournement. L’un d’eux dira à notre économe : « Vous avez droit à recevoir immédiatement une valeur, et il vous convient de ne la recevoir que dans dix ans. Eh bien ! pendant ces dix ans substituez-moi à votre droit, mettez-moi à votre lieu et place. Je toucherai pour vous la valeur dont vous êtes créancier ; je l’emploierai pendant dix ans sous une forme productive, et vous la restituerai à l’échéance. Par là vous me rendrez un service, et comme tout service a une valeur, qui s’apprécie en le comparant à un autre service, il ne reste plus qu’à estimer celui que je sollicite de vous, à en fixer la valeur. Ce point débattu et réglé, j’aurai à vous remettre, à l’échéance, non-seulement la valeur du service dont vous êtes créancier, mais encore la valeur du service que vous allez me rendre. »

C’est la valeur de cette cession temporaire de valeurs épargnées qu’on nomme intérêt.

Par la même raison qu’un tiers peut désirer qu’on lui cède, à titre onéreux, la jouissance d’une valeur épargnée, le débiteur originaire peut aussi solliciter la même transaction. Dans l’un et l’autre cas, cela s’appelle demander crédit. Accorder crédit, c’est donner du temps pour l’acquit d’une valeur, c’est se priver en faveur d’autrui de la jouissance de cette valeur, c’est rendre service, c’est acquérir des droits à un service équivalent.