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« Tu n’as ni barque, ni filets, ni d’autre instrument que tes mains pour pécher, et tu cours grand risque de faire une triste pêche. Tu n’as pas non plus d’approvisionnement, et cependant, pour travailler, il ne faut pas avoir l’estomac vide. Viens avec moi ; c’est ton intérêt comme le mien. C’est le tien, car je te céderai une part de notre pêche, et, quelle qu’elle soit, elle sera toujours plus avantageuse pour toi que le fruit de tes efforts isolés. C’est aussi le mien, car ce que je prendrai de plus, grâce à ton aide, dépassera la portion que j’aurai à te céder. En un mot, l’union de ton travail, du mien et de mon capital, comparativement à leur action isolée, nous vaudra un excédant, et c’est le partage de cet excédant qui explique comment l’association peut nous être à tous deux favorable. »

Cela fut fait ainsi. Plus tard le jeune pêcheur préféra recevoir, chaque jour, une quantité fixe de poisson. Son profit aléatoire fut ainsi converti en salaire, sans que les avantages de l’association fussent détruits, et, à plus forte raison, sans que l’association fût dissoute.

Et c’est dans de telles circonstances que la prétendue philanthropie des socialistes vient déclamer contre la tyrannie des barques et des filets, contre la situation naturellement moins incertaine de celui qui les possède, parce qu’il les a fabriqués précisément pour acquérir quelque certitude  ! C’est dans ces circonstances qu’elle s’efforce de persuader au pauvre dénué qu’il est victime de son arrangement volontaire avec le vieux pécheur, et qu’il doit se hâter de rentrer dans l’isolement  !

Oui, l’avenir du capitaliste est moins chanceux que celui de l’ouvrier ; ce qui revient à dire que celui qui possède déjà est mieux que celui qui ne possède pas encore. Cela est ainsi et doit être ainsi, car c’est la raison pour laquelle chacun aspire à posséder.