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leuses manifestations comme un des plus puissants ressorts du progrès. Elles sont à la fois le couronnement, la récompense d’une civilisation fort ancienne dans le passé, et le point de départ d’une civilisation illimitée dans l’avenir. Si la société s’en fût tenue à cette forme primitive de l’association qui attache aux risques de l’entreprise tous les intéressés, les quatre-vingt-dix-neuf centièmes des transactions humaines n’auraient pu s’accomplir. Celui qui aujourd’hui participe à vingt entreprises aurait été enchaîné pour toujours à une seule. L’unité de vues et de volontés aurait fait défaut à toutes les opérations. Enfin, l’homme n’eût jamais goûté ce bien si précieux qui peut être la source du génie, — la stabilité.

C’est donc d’une tendance naturelle et indestructible qu’est né le salariat. Remarquons toutefois qu’il ne satisfait qu’imparfaitement à l’aspiration des hommes. Il rend plus uniforme, plus égale, plus rapprochée d’une moyenne la rémunération des ouvriers ; mais il est une chose qu’il ne peut pas faire, pas plus que n’y parviendrait d’ailleurs l’association des risques, c’est de leur assurer le travail.

Et ici je ne puis m’empêcher de faire remarquer combien est puissant le sentiment que j’invoque dans tout le cours de cet article, et, dont les modernes réformateurs ne semblent pas soupçonner l’existence : je veux parler de l’aversion pour l’incertitude. C’est précisément ce sentiment qui a rendu si difficile aux déclamateurs socialistes la tâche de faire prendre aux ouvriers le salaire en haine.

On peut concevoir trois degrés dans la condition de l’ouvrier : la prédominance de l’aléatoire ; la prédominance de la stabilité ; un état intermédiaire, d’où l’aléatoire en partie exclu ne laisse pas encore à la stabilité une place suffisante.

Ce que les ouvriers n’ont pas compris, c’est que l’association, telle que les socialistes la leur prêchent, c’est l’en-