Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savent d’avance leurs revenus, des rentiers qui peuvent calculer exactement leurs rentes, des ouvriers qui gagnent tous les jours le même salaire. — Si l’on fait abstraction de la monnaie, qui n’intervient là que pour faciliter les appréciations et les échanges, on apercevra que ce qui est fixe, c’est la quantité de moyens d’existence, c’est la valeur des satisfactions reçues par ces diverses catégories de travailleurs. Or, je dis que cette fixité, qui peu à peu s’étend à tous les hommes, à tous les ordres de travaux, est un miracle de la civilisation, un effet prodigieux de cette société si sottement décriée de nos jours.

Car reportons-nous à un état social primitif ; supposons que nous disions à un peuple chasseur, ou pêcheur, ou pasteur, ou guerrier, ou agriculteur : « À mesure que vous ferez des progrès, vous saurez de plus en plus d’avance quelle somme de jouissance vous sera assurée pour chaque année. » Ces braves gens ne pourraient nous croire. Ils nous répondraient : « Cela dépendra toujours de quelque chose qui échappe au calcul, — l’inconstance des saisons, etc. » C’est qu’ils ne pourraient se faire une idée des efforts ingénieux au moyen desquels les hommes sont parvenus à établir une sorte d’assurance entre tous les lieux et tous les temps.

Or cette mutuelle assurance contre les chances de l’avenir est tout à fait subordonnée à un genre de science humaine que j’appellerai statistique expérimentale. Et cette statistique faisant des progrès indéfinis, puisqu’elle est fondée sur l’expérience, il s’ensuit que la fixité fait aussi des progrès indéfinis. Elle est favorisée par deux circonstances permanentes : 1° les hommes y aspirent ; 2° ils acquièrent tous les jours les moyens de la réaliser.

Avant de montrer comment la fixité s’établit dans les transactions humaines, où l’on semble d’abord ne point s’en préoccuper, voyons comment elle résulte de cette transaction dont elle est spécialement l’objet. Le lecteur