Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/450

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en masse aiment à être tranquilles sur leur avenir, à savoir sur quoi compter, à pouvoir disposer d’avance tous leurs arrangements. Pour comprendre combien ils tiennent la fixité pour précieuse, il suffit de voir avec quel empressement ils se jettent sur les fonctions publiques. Qu’on ne dise pas que cela tient à l’honneur qu’elles confèrent. Certes, il y a des places dont le travail n’a rien de très-relevé. Il consiste, par exemple, à surveiller, fouiller, vexer les citoyens. Elles n’en sont pas moins recherchées. Pourquoi ? Parce qu’elles constituent une position sûre. Qui n’a entendu le père de famille dire de son fils : « Je sollicite pour lui une aspirance au surnumérariat de telle administration. Sans doute il est fâcheux qu’on exige de lui une éducation qui m’a coûté fort cher. Sans doute encore, avec cette éducation, il eût pu embrasser une carrière plus brillante. Fonctionnaire, il ne s’enrichira pas, mais il est certain de vivre. Il aura toujours du pain. Dans quatre ou cinq ans, il commencera à toucher 800 fr. de traitement ; puis il s’élèvera par degrés jusqu’à 3 ou 4,000 fr. Après trente années de service, il aura droit à sa retraite. Son existence est donc assurée : c’est à lui de savoir la tenir dans une obscure modération, etc. »

La fixité a donc pour les hommes un attrait tout-puissant.

Et cependant, en considérant la nature de l’homme et de ses travaux, il semble que la fixité soit incompatible avec elle.

Quiconque se placera, par la pensée, au point de départ des sociétés humaines aura peine à comprendre comment une multitude d’hommes peuvent arriver à retirer du milieu social une quantité déterminée, assurée, constante de moyens d’existence. C’est encore là un de ces phénomènes qui ne nous frappent pas assez, précisément parce que nous les avons toujours sous les yeux. Voilà des fonctionnaires qui touchent des appointements fixes, des propriétaires qui