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travail antérieur plus grossier ne rend pas comparativement autant de services que le travail actuel. Mais il se trouve deux proprietaires dont le travail a été plus intelligent ou, si l’on veut, plus heureux. Quand ils l’offrent sur le marché, il se trouve qu’il y représente d’inimitables services. Chacun se dit : Il m’en coûterait beaucoup de me rendre ce service à moi-même ; donc je le payerai cher ; et, pourvu qu’on ne me force pas, je suis toujours bien sûr qu’il ne me coûtera pas autant que si je me le rendais par tout autre moyen.

C’est l’histoire du Clos-Vougeot. C’est le même cas que l’homme qui trouve un diamant, qui possède une belle voix, ou une taille à montrer pour cinq sous, etc. . . 
. . . . . . . . . . . . . . .


Dans mon pays il y a beaucoup de terres incultes. L’étranger ne manque pas de dire : Pourquoi ne cultivez-vous pas cette terre ? — Parce qu’elle est mauvaise. — Mais voilà à côté de la terre absolument semblable et qui est cultivée. — À cette objection, le naturel du pays ne trouve pas de réponse.

C’est qu’il s’est trompé dans la première : Elle est mauvaise ?

Non ; la raison qui fait qu’on ne défriche pas de nouvelles terres, ce n’est pas qu’elles soient mauvaises, et il y en a d’excellentes qu’on ne défriche pas davantage. Voici le motif : c’est qu’il en coûte plus pour amener cette terre inculte à un état de productivité pareille à celle du champ voisin qui est cultivé, que pour acheter ce champ voisin lui-même.

Or, pour qui sait réfléchir, cela prouve invinciblement que la terre n’a pas de valeur par elle-même…

(Développer tous les points de vue de cette idée[1]).

  1. De ces développements projetés, aucun n’existe ; mais voici sommairement les deux principales conséquences du fait cité par l’auteur :

    1° Deux terres, l’une cultivée A, l’autre inculte B, étant supposées de nature identique, la mesure du travail autrefois sacrifié au défrichement de A est donnée par le travail nécessaire au défrichement de B. On peut dire même qu’à cause de la supériorité de nos connaissances, de nos instruments, de nos moyens de communication, etc., il faudrait moins de journées pour mettre B en culture qu’il n’en a fallu pour A. Si la terre avait une valeur par elle-même, A vaudrait tout ce qu’a coûté sa mise en culture, plus quelque chose pour ses facultés productives naturelles ; c’est-à-dire beaucoup plus que la somme nécessaire actuellement pour mettre B en rapport. Or, c’est tout le contraire : la terre A vaut moins, puisqu’on l’achète plutôt que de défricher B. En achetant A, on ne paye donc rien pour la force naturelle, puisqu’on ne paye pas même le travail de défrichement ce qu’il a primitivement coûté.

    2° Si le champ A rapporte par an 1,000 mesures de blé, la terre B défrichée en rapporterait autant. Puisqu’on a cultivé A, c’est qu’autrefois 1,000 mesures de blé rémunéraient amplement tout le travail exigé, soit par le défrichement, soit par la culture annuelle. Puisqu’on ne cultive pas B, c’est que maintenant 1,000 mesures de blé ne payeraient pas un travail identique, — ou même moindre, comme nous le remarquions plus haut.

    Qu’est-ce que cela veut dire ? Évidemment c’est que la valeur du travail humain a haussé par rapport à celle du blé ; c’est que la journée d’un ouvrier vaut et obtient plus de blé pour salaire. En d’autres termes, le blé s’obtient par un moindre effort, s’échange contre un moindre travail ; et la théorie de la cherté progressive des subsistances est fausse. — V. au tome I, le post-scriptum de la lettre adressée au Journal des économistes, en date du 8 décembre 1850. — V. aussi, sur ce sujet, l’ouvrage d’un disciple de Bastiat : Du revenu foncier, par R. de Fontenay. (Note de l’éditeur.)