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De tout ce qui précède, on peut tirer une fausse conclusion et dire : « Nous voyons bien la Concurrence abaisser les rémunérations dans tous les pays, dans toutes les carrières, dans tous les rangs et les niveler par voie de réduction ; mais alors c’est le salaire du travail brut, de la peine physique, qui deviendra le type, l’étalon de toute rémunération. »

Je n’aurais pas été compris, si l’on ne voyait que la Concurrence, qui travaille à ramener toutes les rémunérations excessives vers une moyenne de plus en plus uniforme, élève nécessairement cette moyenne ; elle froisse, j’en conviens, les hommes en tant que producteurs ; mais c’est pour améliorer la condition générale de l’espèce humaine au seul point de vue qui puisse raisonnablement la relever, celui du bien-être, de l’aisance, des loisirs, du perfectionnement intellectuel et moral, et, pour tout dire en un mot, au point de vue de la consommation.

Dira-t-on qu’en fait l’humanité n’a pas fait les progrès que cette théorie semble impliquer ?

Je répondrai d’abord que, dans les sociétés modernes, la Concurrence est loin de remplir la sphère naturelle de son action ; nos lois la contrarient au moins autant qu’elles la favorisent ; et, quand on se demande si l’inégalité des conditions est due à sa présence ou à son absence, il suffit de voir quels sont les hommes qui tiennent le haut du pavé et nous éblouissent par l’éclat de leur fortune scandaleuse, pour s’assurer que l’inégalité, en ce qu’elle a d’artificiel et d’injuste, a pour base la conquête, les monopoles, les restrictions, les offices privilégiés, les hautes fonctions, les grandes places, les marchés administratifs, les emprunts publics, toutes choses auxquelles la Concurrence n’a rien à voir.

Ensuite, je crois que l’on méconnaît le progrès réel qu’a fait l’humanité depuis l’époque très récente à laquelle on doit assigner l’affranchissement partiel du travail. On a dit, avec raison, qu’il fallait beaucoup de philosophie pour dis-