Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 6.djvu/363

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tion résultant de son effort ; nous devons faire de même pour lui.

Mais qui fera la comparaison ? car, entre ces efforts, ces peines, ces services échangés, il y a, de toute nécessité, une comparaison à faire pour arriver à l’équivalence, à la justice, à moins qu’on ne nous donne pour règle l’injustice, l’inégalité, le hasard, ce qui est une autre manière de mettre l’intelligence humaine hors de cause. Il faut donc un juge ou des juges. Qui le sera ? N’est-il pas bien naturel que, dans chaque circonstance, les besoins soient jugés par ceux qui les éprouvent, les satisfactions par ceux qui les recherchent, les efforts par ceux qui les échangent ? Et est-ce sérieusement qu’on nous propose de substituer à cette universelle vigilance des intéressés une autorité sociale (fût-ce celle du réformateur lui-même), chargée de décider sur tous les points du globe les délicates conditions de ces échanges innombrables ? Ne voit-on pas que ce serait créer le plus faillible, le plus universel, le plus immédiat, le plus inquisitorial, le plus insupportable, le plus actuel, le plus intime, et disons, fort heureusement, le plus impossible de tous les despotismes que jamais cervelle de pacha ou de mufti ait pu concevoir ?

Il suffit de savoir que la Concurrence n’est autre chose que l’absence d’une autorité arbitraire comme juge des échanges, pour en conclure qu’elle est indestructible. La force abusive peut certainement restreindre, contrarier, gêner la liberté de troquer, comme la liberté de marcher ; mais elle ne peut pas plus anéantir l’une que l’autre sans anéantir l’homme. Cela étant ainsi, reste à savoir si la Concurrence agit pour le bonheur ou le malheur de l’humanité ; question qui revient à celle-ci : L’humanité est-elle naturellement progressive ou fatalement rétrograde ?

Je ne crains pas de le dire : la Concurrence, que nous pourrions bien nommer la Liberté, malgré les répulsions