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ces choses est bien ou mal entendue. Il travaille, et, pourvu que son travail réalise de la valeur, cela lui suffit.

Et, pour le dire en passant, ceci prouve que ce qui est moral ou immoral, ce n’est pas le travail, mais le désir ; et que l’humanité se perfectionne, non par la moralisation du producteur, mais par celle du consommateur. Combien ne s’est-on pas récrié contre les Anglais de ce qu’ils récoltaient de l’opium dans l’Inde avec l’idée bien arrêtée, disait-on, d’empoisonner les Chinois ! C’était méconnaître et déplacer le principe de la moralité. Jamais on n’empêchera de produire ce qui, étant recherché, a de la valeur. C’est à celui qui aspire à une satisfaction d’en calculer les effets, et c’est bien en vain qu’on essayerait de séparer la prévoyance de la responsabilité. Nos vignerons font du vin et en feront tant qu’il aura de la valeur, sans se mettre en peine de savoir si avec ce vin on s’enivre en France et on se tue en Amérique. C’est le jugement que les hommes portent sur leurs besoins et leurs satisfactions qui décide de la direction du travail. Cela est vrai même de l’homme isolé ; et si une sotte vanité eût parlé plus haut que la faim à Robinson, au lieu d’employer son temps à la chasse, il l’eût consacré à arranger les plumes de sa coiffure. De même un peuple sérieux provoque des industries sérieuses, un peuple futile, des industries futiles. (Voir chapitre XI.)

Mais revenons. Je dis :

L’homme qui travaille pour lui-même a en vue l’utilité.

L’homme qui travaille pour les autres a en vue la valeur.

Or la Propriété, telle que je l’ai définie, repose sur la valeur ; et la valeur n’étant qu’un rapport, il s’ensuit que la propriété n’est elle-même qu’un rapport.

S’il n’y avait qu’un homme sur la terre, l’idée de Propriété ne se présenterait jamais à son esprit. Maître de s’assimiler toutes les utilités dont il serait environné, ne rencontrant jamais un droit analogue pour servir de limite au sien,