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remarquer, c’est que, sans cette dernière rémunération, ou si elle était tenue pour illégitime, le capital n’aurait pas sollicité les agents naturels, il n’y aurait dans le produit que de l’utilité onéreuse, il serait le résultat unique du travail humain, et notre ouvrier serait placé au point de départ, c’est-à-dire dans l’alternative ou de se priver de bas, ou de les payer au prix de plusieurs années de labeur.

Si notre ouvrier a appris à analyser les phénomènes, certes il se réconciliera avec le Capital en voyant combien il lui est redevable. Il se convaincra surtout que la gratuité des dons de Dieu lui a été complétement réservée, que ces dons lui sont même prodigués avec une libéralité qu’il ne doit pas à son propre mérite, mais au beau mécanisme de l’ordre social naturel. Le Capital, ce n’est pas la force végétative qui a fait germer et fleurir le coton, mais la peine prise par le planteur ; le Capital, ce n’est pas le vent qui a gonflé les voiles du navire, ni le magnétisme qui a agi sur la boussole, mais la peine prise par le voilier et l’opticien ; le Capital, ce n’est pas l’élasticité de la vapeur qui a fait tourner les broches de la fabrique, mais la peine prise par le constructeur de machines. Végétation, force des vents, magnétisme, élasticité, tout cela est certes gratuit ; et voilà pourquoi les bas ont si peu de valeur. Quant à cet ensemble de peines prises par le planteur, le voilier, l’opticien, le constructeur, le marin, le fabricant, le négociant, elles se répartissent, ou plutôt, en tant que c’est le Capital qui agit, l’intérêt s’en répartit entre d’innombrables acquéreurs de bas ; et voilà pourquoi la portion de travail cédée en retour par chacun d’eux est si petite.

En vérité, réformateurs modernes, quand vous voulez remplacer cet ordre admirable par un arrangement de votre invention, il y a deux choses (et elles n’en font qu’une) qui me confondent : votre manque de foi en la Providence et votre foi en vous-mêmes ; votre ignorance et votre orgueil.