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tique des affaires, on n’a besoin de connaître que cette proportion qui est constatée par la valeur, on ne s’occupe que d’elle.

Un débat s’est élevé entre Ricardo et J. B. Say à ce sujet. Ricardo donnait au mot Richesse le sens d’Utilité ; J. B. Say, celui de Valeur. Le triomphe exclusif de l’un des champions était impossible, puisque ce mot a l’un et l’autre sens, selon qu’on se place au point de vue de l’effectif ou du relatif.

Mais il faut bien le dire, et d’autant plus que l’autorité de Say est plus grande en ces matières, si l’on assimile la Richesse (au sens de bien-être effectif) à la Valeur, si l’on affirme surtout que l’une est proportionnelle à l’autre, on s’expose à fourvoyer la science. Les livres des économistes de second ordre et ceux des socialistes ne nous en offrent que trop la preuve. C’est un point de départ malheureux qui dérobe au regard justement ce qui forme le plus beau patrimoine de l’humanité ; il fait considérer comme anéantie cette part de bien-être que le progrès rend commun à tous, et fait courir à l’esprit le plus grand des dangers, — celui d’entrer dans une pétition de principe sans issue et sans fin, de concevoir une économie politique à rebours, où le but auquel nous aspirons est perpétuellement confondu avec l’obstacle qui nous arrête.

En effet, il n’y a de Valeur que par ces obstacles. Elle est le signe, le symptôme, le témoin, la preuve de notre infirmité native. Elle nous rappelle incessamment cet arrêt prononcé à l’origine : Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front. Pour l’Être tout-puissant ces mots, Effort, Service, et, par conséquent, Valeur, n’existent pas. Quant à nous, nous sommes plongés dans un milieu d’utilités, dont un grand nombre sont gratuites, mais dont d’autres ne nous sont livrées qu’à titre onéreux. Des obstacles s’interposent entre ces utilités et les besoins auxquels elles peuvent satisfaire.