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téret dominant est celui du consommateur, — on croirait n’exprimer qu’un véritable truisme.

Heureuses les nations quand elles verront clairement comment et pourquoi ce que nous trouvons faux, ce que nous trouvons vrai, quant à l’homme isolé, ne cesse pas d’être faux ou vrai pour l’homme social !…

Ce qui est certain cependant, c’est que les cinq ou six propositions qui nous ont paru absurdes, appliquées à l’île du Désespoir, paraissent si incontestables, quand il s’agit de la France, qu’elles servent de base à toute notre législation économique. Au contraire, l’axiome qui nous semblait la vérité même, quant à l’individu, n’est jamais invoqué au nom de la société sans provoquer le sourire du dédain.

Serait-il donc vrai que l’échange altère à ce point notre organisation individuelle, que ce qui fait la misère de l’individu fasse la richesse sociale ?

Non, cela n’est pas vrai. Mais il faut le dire, cela est spécieux, très-spécieux même, puisque c’est si généralement cru.

La société consiste en ceci : que nous travaillons les uns pour les autres. Nous recevons d’autant plus de services que nous en rendons davantage, ou que ceux que nous rendons sont plus appréciés, plus recherchés, mieux rémunérés. D’un autre côté, la séparation des occupations fait que chacun de nous applique ses efforts à vaincre un obstacle qui s’oppose aux satisfactions d’autrui. Le laboureur combat l’obstacle appelé faim ; le médecin, l’obstacle appelé maladie ; le prêtre, l’obstacle appelé vice ; l’écrivain, l’obstacle appelé ignorance ; le mineur, l’obstacle appelé froid, etc., etc.

Et comme tous ceux qui nous entourent sont d’autant plus disposés à rémunérer nos efforts, qu’ils sentent plus vivement l’obstacle qui les gêne, il s’ensuit que nous sommes tous disposés, à ce point de vue et comme producteurs,