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mée en blé ; la terre à vigne est plantée en vigne ; il y a des pêcheurs sur les côtes et des bûcherons sur les montagnes. Ici on dirige l’eau, là le vent sur une roue qui remplace dix hommes. La nature devient un esclave qu’il ne faut ni nourrir ni vêtir, dont nous ne payons ni ne faisons payer les services, qui ne coûte rien ni à notre bourse ni à notre conscience[1]. La même somme d’efforts humains, c’est-à-dire les mêmes services, la même valeur réalise une somme d’utilité toujours plus grande. Pour chaque résultat donné une portion seulement de l’activité humaine est absorbée ; l’autre, par l’intervention des forces naturelles, est rendue disponible, elle se prend à de nouveaux obstacles, satisfait à de nouveaux désirs, réalise de nouvelles utilités.

Les effets de l’échange sur nos facultés intellectuelles sont tels, qu’il n’est pas donné à l’imagination la plus vigoureuse d’en calculer la portée.

« Nos connaissances, dit M. Tracy, sont nos plus précieuses acquisitions, puisque ce sont elles qui dirigent l’emploi de nos forces et le rendent plus fructueux, à mesure qu’elles sont plus saines et plus étendues. Or nul homme n’est à portée de tout voir, et il est bien plus aisé d’apprendre que d’inventer. Mais quand plusieurs hommes communiquent ensemble, ce qu’un d’eux a observé est bientôt connu de tous les autres, et il suffit que parmi eux il s’en trouve un fort ingénieux pour que des découvertes précieuses deviennent promptement la propriété de tous. Les lumières doivent donc s’accroître bien plus rapidement que dans l’état d’isolement, sans compter qu’elles peuvent se conserver et, par conséquent, s’accumuler de générations en générations. »

Si la nature a varié autour de l’homme les ressources

  1. Bien plus, cet esclave-là, à cause de sa supériorité, finit à la longue par déprécier et affranchir tous les autres. C’est une harmonie dont je laisse à la sagacité du lecteur de suivre les conséquences.