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dit : Messieurs, une expérience invariable m’apprend qu’à la fin de la partie je me trouve d’autant plus riche que j’ai plus de jetons. N’avez-vous pas fait la même observation sur vous-mêmes ? Ainsi ce qui est vrai de moi est successivement vrai de chacun de vous, et ce qui est vrai de chacun l’est de tous. Donc nous serions tous plus riches, en fin de jeu, si tous nous avions plus de jetons. Or, rien n’est plus aisé ; il suffit d’en distribuer le double. C’est ce qui fut fait. Mais quand, la partie terminée, on en vint au règlement, on s’aperçut que les mille francs du chandelier ne s’étaient pas miraculeusement multipliés, suivant l’attente générale. Il fallut les partager, comme on dit, au prorata, et le seul résultat (bien chimérique !) obtenu, fut celui-ci : chacun avait bien le double de jetons, mais chaque jeton, au lieu de correspondre à dix francs, n’en représentait plus que cinq. Il fut alors parfaitement constaté que ce qui est vrai de chacun ne l’est pas toujours de tous.

— Je le crois bien : vous supposez un accroissement général de jetons, sans un accroissement correspondant de la mise sous le chandelier.

— Et vous, vous supposez un accroissement général d’écus sans un accroissement correspondant des choses dont ces écus facilitent l’échange.

— Est-ce que vous assimilez les écus à des jetons ?

— Non certes, à d’autres égards ; oui, au point de vue du raisonnement que vous m’opposiez et que j’avais à combattre. Remarquez une chose. Pour qu’il y ait accroissement général d’écus dans un pays, il faut, ou que ce pays ait des mines, ou que son commerce se fasse de telle façon qu’il donne des choses utiles pour recevoir du numéraire. Hors de ces deux hypothèses, un accroissement universel est impossible, les écus ne faisant que changer de mains, et, dans ce cas, encore qu’il soit bien vrai que chacun pris individuellement soit d’autant plus riche qu’il a plus d’écus, on