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souhaitait ardemment le défricher. Hélas ! se disait-il, creuser des fossés, élever des clôtures, défoncer le sol, le débarrasser de ronces et de pierres, l’ameublir, l’ensemencer, tout cela pourrait bien me donner à manger dans un an ou deux, mais non certes aujourd’hui et demain. Il m’est impossible de me livrer à la culture avant d’avoir préalablement accumulé quelques Provisions qui me fassent subsister jusqu’à la récolte, et j’apprends par expérience que le travail antérieur est indispensable pour rendre vraiment productif le travail actuel. Le bon Mathurin ne se borna pas à faire ces réflexions. Il prit aussi la résolution de travailler à la journée et de faire des épargnes sur son salaire, pour acheter une bêche et un sac de blé, choses sans lesquelles il faut renoncer aux plus beaux projets agricoles. Il fit si bien, il fut si actif et si sobre, qu’enfin il se vit en possession du bienheureux sac de blé. « Je le porterai au moulin, dit-il, et j’aurai là de quoi vivre jusqu’à ce que mon champ se couvre d’une riche moisson. » Comme il allait partir, Jérôme vint lui emprunter son trésor. « Si tu veux me prêter ce sac de blé, disait Jérôme, tu me rendras un grand service, car j’ai en vue un travail très-lucratif, qu’il m’est impossible d’entreprendre faute de Provisions pour vivre jusqu’à ce qu’il soit terminé. — J’étais dans le même cas, répondit Mathurin, et si maintenant j’ai du pain assuré pour quelques mois, je l’ai gagné aux dépens de mes bras et de mon estomac. Sur quel principe de justice serait-il maintenant consacré à la réalisation de ton entreprise et non de la mienne ? »

On peut penser que le marché fut long. Il se termina cependant, et voici sur quelles bases :

Premièrement, Jérôme promit de rendre au bout de l’an un sac de blé de même qualité, de même poids, sans qu’il y manquât un seul grain. Cette première clause est de toute justice, disait-il, sans elle Mathurin ne prêterait pas, il donnerait.