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s’il était consacré par la loi que chacun a droit à la propriété d’autrui, le don n’aurait plus de mérite, la charité et la reconnaissance ne seraient plus des vertus. En outre, une telle doctrine arrêterait tout à coup et universellement le travail et la production, comme un froid rigoureux pétrifie l’eau et suspend la vie ; car qui travaillerait quand il n’y aurait plus aucune connexité entre notre travail et la satisfaction de nos besoins ? L’économie politique ne s’est pas occupée du don. On en a conclu qu’elle le repoussait, que c’était une science sans entrailles. C’est là une accusation ridicule. Cette science, étudiant les lois qui résultent de la mutualité des services, n’avait pas à rechercher les conséquences de la générosité à l’égard de celui qui reçoit, ni ses effets, peut-être plus précieux encore, à l’égard de celui qui donne ; de telles considérations appartiennent évidemment à la morale. Il faut bien permettre aux sciences de se restreindre ; il ne faut pas surtout les accuser de nier ou de flétrir ce qu’elles se bornent à juger étranger à leur domaine.

L’Hérédité, contre laquelle, dans ces derniers temps, on s’est beaucoup élevé, est une des formes du Don et assurément la plus naturelle. Ce que l’homme a produit il le peut consommer, échanger, donner ; quoi de plus naturel qu’il le donne à ses enfants ? C’est cette faculté, plus que toute autre, qui lui inspire le courage de travailler et d’épargner. Savez-vous pourquoi on conteste le principe de l’Hérédité ? parce qu’on s’imagine que les biens ainsi transmis sont dérobés à la masse. C’est là une erreur funeste ; l’économie politique démontre de la manière la plus péremptoire que toute valeur produite est une création qui ne fait tort à qui que ce soit[1]. Voilà pourquoi on peut la

  1. Voy., pour la théorie de la valeur, le chap. v du tome VI. (Note de l’éditeur.)