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banque nationale prêtant à qui en désire, et gratuitement, de prétendus capitaux sous forme de billets ?

Évidemment nous retrouvons ici cette erreur funeste et si invétérée qui fait confondre l’instrument de l’échange avec les objets échangés, erreur dont M. Proudhon, dans ses précédentes lettres, laissait apercevoir le germe, quand il disait : Ce ne sont pas les choses qui font la richesse, mais la circulation. — Et encore, quand il calculait que l’intérêt en France était à 160 pour 100, parce qu’il comparait toutes les rentes payées au capital en numéraire.

J’avais posé à M. Proudhon ce dilemme : ou votre Banque nationale prêtera indistinctement des billets à tous ceux qui se présenteront ; et en ce cas, la circulation en sera tellement saturée, qu’ils seront dépréciés, — ou bien elle ne les livrera qu’avec discernement ; et alors votre but n’est pas atteint.

Il est clair, en effet, que si chacun peut aller se pourvoir gratis de monnaie fictive à la Banque, et si cette monnaie est reçue à sa valeur normale, les émissions n’auront pas de limite et s’élèveront à plus de cinquante milliards, dès la première année. L’effet sera le même que si l’or et l’argent devenaient aussi communs que la boue. — L’illusion qui consiste à croire que la richesse se multiplie, ou même que la circulation s’active à mesure qu’on accroît l’instrument de l’échange, ne devrait pas entrer dans la tête d’un publiciste qui, de nos jours, discute des questions économiques. Nous savons tous, par notre propre expérience, que le numéraire, non plus que les billets de banque, ne portant pas intérêt, chacun n’en garde dans son coffre ou son portefeuille que le moins possible ; et par conséquent la quantité que le public en demande est limitée. On ne peut l’accroître sans la déprécier, et tout ce qui résulte de cet accroissement, c’est que, pour chaque échange, il faut deux écus ou deux billets au lieu d’un.