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maines fulminèrent contre elle l’interdit. Tu ne placeras point ton argent à intérêt sur notre frère, dit la loi de Moïse, mais oui bien sur l’étranger : Non fœnerabis proximo tuo, sed alieno. Comme si le législateur avait dit : de peuple à peuple, le bénéfice du commerce et le croît des capitaux n’expriment qu’un rapport entre valeurs d’opinion, valeurs qui, par conséquent, s’équilibrent : de citoyen à citoyen, le produit devant s’échanger contre le produit, le travail contre le travail, et le prêt d’argent n’étant qu’une anticipation de cet échange, l’intérêt constitue une différence qui rompt l’égalité commerciale, enrichit l’un au détriment de l’autre, et entraîne, à la longue, la subversion de la société.

Aussi fut-ce d’après ce principe que le même Moïse voulut que toute dette fût périmée et cessât d’être exigible à chaque cinquantième année : ce qui voulait dire que cinquante années d’intérêt ou cinquante annuités, en supposant que le prêt eût été fait la première année après le jubilé, remboursaient le capital.

C’est pour cela que Solon, appelé à la présidence de la république par ses concitoyens, et chargé d’apaiser les troubles qui agitaient la cité, commença par abolir les dettes, c’est-à-dire par liquider toutes les usures. La gratuité du crédit fut pour lui la seule solution du problème révolutionnaire posé de son temps, la condition sine quâ non d’une république démocratique et sociale.

C’est pour cela, enfin, que Lycurgue, esprit peu versé dans les questions de crédit et de finance, poussant à l’extrême ses appréhensions, avait banni de Lacédémone le commerce et la monnaie : ne trouvant pas, contre la subalternisation des citoyens et l’exploitation de l’homme par l’homme, d’autre remède que cette solution Icarienne.

Mais tous ces efforts, mal concertés, plus mal encore secondés, des anciens moralistes et législateurs, devaient rester impuissants. Le mouvement usuraire les débordait, sans