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chances que court le capital, et la privation qu’éprouve le capitaliste ; en sorte que s’il y a garantie de remboursement de la part du débiteur, et si la peine de créancier est zéro, l’intérêt doit devenir zéro ?

Une autre cause, qu’il importe ici de ne point omettre, parce qu’elle marque le point de transition ou de séparation entre la part de bénéfice, interesse, afférente au capitaliste dans le contrat à la grosse, et l’usure proprement dite ; une autre cause, dis-je, tout à fait accidentelle, contribua singulièrement à vulgariser la fiction de la productivité du capital, et par suite la pratique de l’intérêt. Ce furent, chez les gens de commerce, les exigences de la compatibilité, la nécessité de presser les rentrées ou remboursements. Quel stimulant plus énergique, je vous le demande, pouvait-on imaginer à l’égard du débiteur indolent et retardataire, que cette aggravation, fœnus, cet enfantement, tokos, incessant du principal ? Quel huissier plus inflexible que ce serpent de l’usure, comme dit l’hébreu ? L’usure, disent les vieux rabbins, est appelée serpent, neschek, parce que le créancier mord le débiteur, lorsqu’il lui réclame plus qu’il ne lui a donné. Et c’est cet instrument de police, cette espèce de garde du commerce lancé par le créancier à la gorge de son débiteur, dont on a voulu faire un principe de justice commutative, une loi de l’économie sociale ! Il faut n’avoir jamais mis le pied dans une maison de négoce, pour méconnaître à ce point l’esprit et le but de cette invention vraiment diabolique du génie mercantile.

Suivons maintenant le progrès de l’institution, car nous touchons au moment où le neschek, le tokos, le fœnus, l’usure, enfin, se distinguant du bénéfice aléatoire, ou interesse, de l’expéditeur, va devenir une institution : et voyons d’abord comment s’en est généralisée la pratique. Nous tâcherons, après, de déterminer les causes qui doivent en amener l’abolition.