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l’emprunteur. Monsieur, je voudrais monter un magasin, j’ai besoin de dix mille francs, veuillez me les prêter.

le prêteur. Volontiers, nous allons débattre les conditions.

l’emprunteur. Monsieur, je n’accepte pas de conditions. Je garderai votre argent un an, deux ans, vingt ans, après quoi je vous le rendrai purement et simplement, attendu que tout ce qui, dans le remboursement du prêt, est donné en sus du prêt, est usure, spoliation.

le prêteur. Mais puisque vous venez me demander un service, il est bien naturel que je vous en demande un autre.

l’emprunteur. Monsieur, je n’ai que faire de votre service.

le prêteur. En ce cas, je garderai mon capital, dussé-je le manger.

l’emprunteur. « Monsieur, je suis socialiste, et le socialisme, redoublant d’énergie, proteste et vous dit par ma bouche : je n’ai que faire de votre service, service pour vous et spoliation pour moi, tandis qu’il est loisible à la société de me faire jouir des mêmes avantages que vous m’offrez, et cela sans rétribution. M’imposer un tel service, malgré moi, en refusant d’organiser la circulation des capitaux, c’est me faire supporter un prélèvement injuste, c’est me voler. »

le prêteur. Je ne vous impose rien malgré vous. Dès que vous ne voyez pas, dans le prêt, un service, abstenez-vous d’emprunter, comme moi de prêter. Que si la société vous offre des avantages sans rétribution, adressez-vous à elle, c’est bien plus commode ; et, quant à organiser la circulation des capitaux, ainsi que vous me sommez de le faire, si vous entendez par là que les miens vous arrivent gratis, par l’intermédiaire de la société, j’ai contre ce procédé indirect tout juste les mêmes objections qui m’ont fait vous refuser le prêt direct et gratuit.