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ouvrier si malheureux qui ne puisse obtenir une paire de bas de coton avec son travail d’une journée ? — C’est justement parce que du capital concourt à la création de ce produit. Le genre humain a inventé des instruments qui forcent la nature à une collaboration gratuite.

Il est bien vrai qu’en décomposant le prix de cette paire de bas, vous trouvez qu’une partie assez considérable de ce prix se rapporte au capital. Il faut bien payer le squatter qui a défriché la terre de la Caroline ; il faut bien payer la voile qui pousse le navire de New-York au Havre ; il faut bien payer la machine qui fait tourner dix mille broches. Mais c’est justement parce que nous payons ces instruments, qu’ils font concourir la nature et qu’ils substituent son action gratuite à l’action onéreuse du travail. Si nous supprimions successivement cette série d’intérêts à payer, nous supprimerions par cela même les instruments et la collaboration naturelle qu’ils mettent en œuvre ; en un mot, nous reviendrions au point de départ, à l’époque où mille journées de travail n’auraient pas suffi pour se procurer une paire de bas. Il en est ainsi de toutes choses.

Vous pensez que l’intérêt est prélevé par celui qui ne fait rien sur celui qui travaille. Ah ! Monsieur, avant de laisser tomber une seconde fois dans le public cette triste et irritante assertion, scrutez-la jusque dans la racine. Demandez-lui ce qu’elle contient, et vous vous assurerez qu’elle ne porte en elle que des erreurs et des tempêtes. Vous invoquez mon apologue du rabot, permettez-moi d’y revenir.

Voilà un homme qui veut faire des planches. Il n’en fera pas une dans l’année, car il n’a que ses dix doigts. Je lui prête une scie et un rabot, — deux instruments, ne le perdez pas de vue, qui sont le fruit de mon travail et dont je pourrais tirer parti pour moi-même. Au lieu d’une planche, il en fait cent et m’en donne cinq. Je l’ai donc mis à même, en me privant de ma chose, d’avoir quatre-