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Comme Platon et Lycurgue, ses maîtres, comme les Spartiates et les Romains, ses héros, Rousseau donnait aux mots travail et liberté un sens selon lequel ils expriment deux idées incompatibles. Dans l’état social, il faut donc opter : renoncer à être libre, ou mourir de faim. Il y a cependant une issue à la difficulté, c’est l’esclavage.


« À l’instant qu’un peuple se donne des représentants, il n’est plus libre ; il n’est plus !

Chez les Grecs, tout ce que le peuple avait à faire, il le faisait lui-même. Il était sans cesse assemblé sur la place ; des esclaves faisaient ses travaux ; sa grande affaire était la liberté. N’ayant plus les mêmes avantages, comment conserver les mêmes droits ? Vous donnez plus à votre gain qu’à votre liberté, et vous craignez bien moins l’esclavage que la misère.

Quoi ! la liberté ne se maintient qu’à l’appui de la servitude ? Peut-être. Les deux excès se touchent. Tout ce qui n’est pas dans la nature a ses inconvénients, et la société civile plus que tout le reste. Il y a telles positions malheureuses où on ne peut sauver sa liberté qu’aux dépens de celle d’autrui, et où le citoyen ne peut être extrêmement libre que l’esclave ne soit extrêmement esclave. Telle était la position de Sparte. Pour vous, peuples modernes, vous n’avez point d’esclaves, mais vous l’êtes, etc. »


Voilà bien le conventionalisme classique. Les anciens avaient été poussés à se donner des esclaves par leurs instincts brutaux. Mais comme c’est un parti pris, une tradition de collége de trouver beau tout ce qu’ils ont fait, on leur attribue des raisonnements raffinés sur la quintessence de la liberté.

L’opposition qu’établit Rousseau entre l’état de la nature et l’état social est aussi funeste à la morale privée qu’à la morale publique. Selon ce système, la société est le résultat d’un pacte qui donne naissance à la Loi, laquelle, à son tour, tire du néant la justice et la moralité. Dans l’état de nature, il n’y a ni moralité ni justice. Le père n’a aucun devoir envers son fils, le fils envers son père, le mari envers sa femme, la femme envers son mari. « Je ne dois rien à