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— Il en faut un pour acquitter les services publics, la liste civile, les juges qui vous font restituer le sillon que votre voisin veut s’approprier, les gendarmes qui chassent aux larrons pendant que vous dormez, le cantonnier qui entretient le chemin qui vous mène à la ville, le curé qui baptise vos enfants, l’instituteur qui les élève, et votre serviteur qui ne travaille pas pour rien.

— À la bonne heure, service pour service. Il n’y rien à dire. J’aimerais tout autant m’arranger directement avec mon curé et mon maître d’école ; mais je n’insiste pas là-dessus, va pour le second tonneau. Il y a loin jusqu’à six.

— Croyez-vous que ce soit trop de deux tonneaux pour votre contingent aux frais de l’armée et de la marine ?

— Hélas ! c’est peu de chose, eu égard à ce qu’elles me coûtent déjà ; car elles m’ont enlevé deux fils que j’aimais tendrement.

— Il faut bien maintenir l’équilibre des forces européennes.

— Eh, mon Dieu ! l’équilibre serait le même, si l’on réduisait partout ces forces de moitié ou des trois quarts. Nous conserverions nos enfants et nos revenus. Il ne faudrait que s’entendre.

— Oui ; mais on ne s’entend pas.

— C’est ce qui m’abasourdit. Car, enfin, chacun en souffre.

— Tu l’as voulu, Jacques Bonhomme.

— Vous faites le plaisant, monsieur le percepteur, est-ce que j’ai voix au chapitre ?

— Qui avez-vous nommé pour député ?

— Un brave général d’armée, qui sera maréchal sous peu si Dieu lui prête vie.

— Et sur quoi vit le brave général ?

— Sur mes tonneaux, à ce que j’imagine.