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qu’on le suppose communément. Mais ceci n’est plus de mon sujet.



I. — ABONDANCE, DISETTE.


Qu’est-ce qui vaut mieux pour l’homme et pour la société, l’abondance ou la disette ?

Quoi ! s’écriera-t-on, cela peut-il faire une question ? A-t-on jamais avancé, est-il possible de soutenir que la disette est le fondement du bien-être des hommes ?

Oui, cela a été avancé ; oui, cela a été soutenu ; on le soutient tous les jours, et je ne crains pas de dire que la théorie de la disette est de beaucoup la plus populaire. Elle défraie les conversations, les journaux, les livres, la tribune, et, quoique cela puisse paraître extraordinaire, il est certain que l’économie politique aura rempli sa tâche et sa mission pratique quand elle aura vulgarisé et rendu irréfutable cette proposition si simple : « La richesse des hommes, c’est l’abondance des choses. »

N’entend-on pas dire tous les jours : « L’étranger va nous inonder de ses produits ? » Donc on redoute l’abondance.

M. de Saint-Cricq n’a-t-il pas dit : « La production surabonde ? » Donc il craignait l’abondance.

Les ouvriers ne brisent-ils pas les machines ? Donc ils s’effraient de l’excès de la production ou de l’abondance.

M. Bugeaud n’a-t-il pas prononcé ces paroles : « Que le pain soit cher, et l’agriculteur sera riche ! » Or, le pain ne peut être cher que parce qu’il est rare ; donc M. Bugeaud préconisait la disette.

M. d’Argout ne s’est-il pas fait un argument contre l’industrie sucrière de sa fécondité même ? Ne disait-il pas : « La betterave n’a pas d’avenir, et sa culture ne saurait s’étendre, parce qu’il suffirait d’y consacrer quelques hec-