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tres ne s’y résignaient pas ou du moins ne voulaient pas en être les instruments[1]. Lord John Russell, qui se trouvait alors à Edimbourg, mandé en toute hâte par la reine, échoua dans la tentative de créer un nouveau cabinet ; en sorte que le jour même où sir Robert Peel se présentait devant la reine, pour prendre congé d’elle et remettre son portefeuille aux mains d’un successeur, il reçut au contraire la mission de reconstituer un ministère, mission qu’il put remplir sans difficulté. Excepté lord Stanley, qui se retira, et lord Wharncliffe qui mourut subitement, le cabinet nouveau conservait tous les membres de l’ancien.

La situation ne porta nullement les libres-échangistes à se relâcher de leur vigilance et de leur activité. Un grand meeting eut lieu le 23 décembre à Manchester, auquel se rendirent toutes les notabilités manufacturières des environs. Il y fut résolu à l’unanimité de réunir une somme de 200,000 livres sterling pour subvenir aux dépenses futures de la Ligue. Immédiatement ouverte, la souscription atteignit en peu d’instants le chiffre de 60 mille livres (1 million 500 mille francs). Cette manifestation frappante du zèle des ligueurs leur gagna de nouveaux adhérents et consterna leurs adversaires. Au bout d’un mois, la souscription s’élevait déjà à 150 mille livres.

Ce fut le 19 janvier 1846 que s’ouvrit le Parlement. Dans le débat sur l’adresse, sir Robert Peel fit une déclaration de principes, qu’un libre-échangiste n’eût pas désavouée, et termina son discours par une allusion à sa position personnelle vis-à-vis

  1. En se reportant à cette phase des progrès de la Ligue, à l’ascendant qu’elle parvint à exercer sur les hommes politiques de tous les partis, il est impossible de ne pas reconnaître combien Bastiat, qui la voyait personnifiée dans son principal chef, était fondé à porter, quatre ans plus tard, le jugement suivant :

    « Que dirai-je du libre-échange, dont le triomphe est dû à Cobden, non à Robert Peel ; car l’apôtre aurait toujours fait surgir un homme d’État, tandis que l’homme d’État ne pouvait se passer de l’apôtre ? » (Tom. VI, chap. xiv.)