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d’ailleurs de tant de violences et de dangers, n’a plus pour point d’appui aucun motif raisonnable ou même spécieux. Il n’est que le prétexte et l’occasion d’une immense injustice. Essayons d’en calculer la portée.

Quant au peuple anglais, je veux dire la classe productive, il ne gagne rien à la vaste extension de ses possessions coloniales. En effet, si ce peuple est assez riche pour acheter du sucre, du coton, du bois de construction, que lui importe de demander ces choses à la Jamaïque, à l’Inde et au Canada, ou bien au Brésil, aux États-Unis, à la Baltique ? Il faut bien que le travail manufacturier anglais paie le travail agricole des Antilles, comme il paierait le travail agricole des nations du Nord. C’est donc une folie que de faire entrer dans le calcul les prétendus débouchés ouverts à l’Angleterre par ses colonies. Ces débouchés, elle les aurait alors même que les colonies seraient affranchies, et par cela seul qu’elle y exécuterait des achats. Elle aurait de plus les débouchés étrangers, dont elle se prive en restreignant ses approvisionnements à ses possessions, en leur en conférant le monopole.

Lorsque les États-Unis proclamèrent leur indépendance, les préjugés coloniaux étaient dans toute leur force, et tout le monde sait que l’Angleterre crut son commerce ruiné. Elle le crut si bien, qu’elle se ruinait d’avance en frais de guerre pour retenir ce vaste continent sous sa domination. Mais qu’est-il arrivé ? En 1776, au commencement de la guerre de l’Indépendance, les exportations anglaises à l’Amérique du Nord étaient de 1,300,000 liv. sterl., elles s’élevèrent à 3,600,000 liv. sterl. en 1784, après que l’indépendance eut été reconnue ; et elles montent aujourd’hui à 12,400,000 liv. sterl., somme qui égale presque celle de toutes les exportations que fait l’Angleterre à ses quarante-cinq colonies, puisque celles-ci n’ont pas dépassé, en 1842, 13,200,000 liv. sterl. — Et, en effet, on ne voit pas