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pendant ? Est-ce maintenant enfin, où l’ouvrier est gratifié de 2 shillings par jour quand il fait beau, qu’il perd s’il vient à pleuvoir, et où sa vie se consume en un travail incessant, jour après jour, et de semaine en semaine ? À quelle époque donc trouvons-nous l’origine, où lisons-nous l’histoire, où voyons-nous les marques de cette paternelle sollicitude, qui, à en croire l’aristocratie, a placé la classe ouvrière sous sa tendre et spéciale protection ? (Acclamations bruyantes et prolongées.) Si tels sont les sentiments de l’aristocratie envers les ouvriers, pourquoi ne donne-t-elle pas une attention plus exclusive à leurs intérêts ? Les législateurs de cette classe ne s’abstiennent pas, d’habitude, de se mêler des affaires d’autrui. Ils se préoccupent des manufactures, où les salaires sont pourtant plus élevés que sur leurs domaines ; ils réglementent les heures de travail et les écoles ; ils sont toujours prêts à s’ingérer dans les fabriques de soie, de laine, de coton, en toutes choses au monde ; et, sur ces entrefaites, voilà ces ouvriers qu’ils aiment tant, les voilà les plus misérables et les plus abandonnés de toutes les créatures ! Quelquefois peut-être on distribuera à ceux d’entre eux qui auront servi vingt ans le même maître un prix de 10 shillings, toujours accompagné de la part du révérend président du meeting de cette allocution : « Méfiez-vous des novateurs, car la Bible enseigne qu’il y aura toujours des pauvres parmi vous. » (Honte ! honte !)

Et que dirons-nous de la prétention des propriétaires au titre d’agriculteurs ? On n’est pas savant parce qu’on possède une bibliothèque ; et comme l’a dit énergiquement M. Cobden : « on n’est pas marin parce qu’on est armateur. » Les propriétaires de grands domaines n’ont pas davantage droit au titre honorable « d’agriculteurs. » Ils ne cultivent pas le sol ; ils se bornent à en recueillir les fruits, ayant soin de s’adjuger la part du lion. Si un tel langage prévalait en d’autres matières, s’il fallait juger des qualités personnelles et des occupations d’un homme, par l’usage auquel ses propriétés sont destinées, il s’ensuivrait qu’un noble membre de la Ligue, le marquis de Westminster[1] serait le plus grand tuilier de Londres (rires), que le

  1. Propriétaire d’une partie de Londres.