Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 3.djvu/118

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liv. sterl. seront recueillies, la rapacité de la classe dominante viendra en prélever le tiers ou la moitié ; la charité en sera restreinte et bien des infortunes resteront sans soulagement. C’est ainsi que la commisération elle-même est soumise à la taxe, et que des limites sont posées aux meilleurs sentiments du cœur humain. Ce n’est pas là la leçon que nous donne ce livre sacré que les monopoleurs eux-mêmes font profession de révérer. Il nous enseigne à demander « le pain de chaque jour. » Mais les seigneurs taxent au contraire le pain de chaque jour. Le même livre nous montre un jeune homme qui demande ce qu’il doit faire. Et il lui est répondu ; « Vendez votre bien et distribuez-le aux pauvres. » Mais notre législation prend ce précepte au rebours, car elle procède de ce principe : « Oter au pauvre pour donner au riche. » (Applaudissements.) Si je viens à considérer la question du côté politique, je dirai que l’oppression ne cesse pas d’être oppression pour se cacher sous des formes légales. Un peuple dont le pain est taxé est un peuple esclave, de quelque manière que vous le preniez. La prépondérance aristocratique a passé sur les esprits comme la herse sur le champ vide, et la corruption y a fait germer une ample moisson de votes antipathiques, mais inféodés. C’est donc une question de classes, comme toutes celles qui s’agitent dans ce pays. Mais quelle est la classe d’habitants intéressés au maintien de ces lois ? Ce ne sont pas les fermiers, car la rente leur arrache jusqu’au dernier shilling qu’elles ajoutent au prix du blé ! Ce n’est pas la classe ouvrière, puisque les salaires sont arrivés à leur dernière expression. Ce n’est pas la classe marchande, car nos ports sont déserts et nos usines silencieuses. Ce n’est pas la classe littéraire, car les hommes ont peu de goût à la nourriture de l’esprit quand le corps est épuisé d’inanition. Eh quoi ! ce ne sont pas même les seigneurs terriens, si ce n’est un petit nombre d’entre eux qui possèdent encore la propriété nominale de domaines chargés d’hypothèques. Et c’est dans le seul intérêt de ce petit nombre de privilégiés, pour satisfaire à leurs exigences, pour alimenter leur prodigalité, que tant de maux seront accumulés sur les masses, et que la valeur même du sol sera ravie à leurs descendants ! Et que gagnent-ils à ce