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Et quand les agriculteurs auront livré leurs produits aux manufacturiers au prix fixé par l’universelle concurrence, ils rachèteront ces mêmes produits façonnés en toile et en drap, aux prix du monopole. En d’autres termes, il y aura deux classes de travail en France : le travail agricole non privilégié, et le travail manufacturier privilégié. — L’effet de ce régime sera de faire sortir de plus en plus les hommes et les capitaux de l’agriculture pour les pousser vers les fabriques, jusqu’à ce que ces deux grands effets définitifs se produisent :

1o La concurrence intérieure, parmi les fabricants, leur arrachera les profits que la protection avait prétendu leur conférer ;

2o Un grand déplacement se sera opéré, une grande déperdition de forces se sera accomplie ; pendant que les débouchés extérieurs seront fermés à nos fabriques, la ruine, au dedans, du public consommateur, dont la classe agricole forme les deux tiers, leur fermera aussi les débouchés intérieurs ; et l’industrie manufacturière portera le double châtiment de ses prétentions injustes et de ses funestes erreurs.

On a beau dire et beau faire. Il n’y a qu’une bonne politique : c’est celle de la Justice.

Certainement, nous ne chercherons pas à nous concilier la classe agricole par de trompeuses promesses. Nous lui disons tout net qu’elle ne doit pas être, qu’elle ne peut pas être et qu’elle n’est pas protégée ; que la protection dont elle croit jouir, quant aux céréales, est illusoire ; que celle qu’elle retient encore sur les matières premières va lui échapper. Mais nous ajoutons : si l’on ne peut pas donner aux agriculteurs des suppléments de prix, au moyen de taxes (qu’ils payent eux-mêmes pour les deux tiers), il ne faut pas du moins les forcer, au moyen d’autres taxes, de donner des suppléments de prix aux maîtres de forges, aux ma-