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marine marchande se relèvera et notre marine militaire aussi, si besoin est. Le travail libre, essentiellement progressif, surmontera le travail esclave, essentiellement stationnaire. L’esclavage mourra de sa belle mort, sans qu’il soit nécessaire que les peuples fassent des uns aux autres une police pleine de dangers. Le travail et les capitaux prendront partout la direction la plus avantageuse. Sans doute, pendant la transition, il y aura quelques intérêts froissés. Nous leur viendrons en aide le plus possible. Mais quand on a fait depuis longtemps fausse route, il est puéril de refuser d’entrer dans la bonne voie parce qu’il faut se donner quelque peine.

Ceux qui parlaient ainsi furent traités de novateurs, d’idéologues, de métaphysiciens, de visionnaires, de traîtres, de perturbateurs du repos public.

Les hommes d’État disaient : « Il est indigne de nous de chercher à sortir d’une situation artificielle par un retour vers une situation naturelle. On n’est pas grand homme pour si peu. Le comble de l’art est de tout arranger sans rien déranger. Ne touchons pas à l’esclavage, ce serait dangereux ; ni au sucre de betterave, ce serait injuste ; n’admettons pas le commerce libre avec tout l’autre hémisphère, ce serait la mort de notre colonie ; ne renonçons pas à la colonie, ce serait la mort de notre marine ; et ne restons pas dans le statu quo, ce serait la mort de tous les intérêts. »

Ceux-ci acquirent un grand renom d’hommes modérés et pratiques. On disait d’eux : Voilà d’habiles administrateurs, qui savent tenir compte de toutes les difficultés.

Tant il y a que, pendant qu’on cherchait un changement qui ne changeât rien, les choses furent toujours en empirant, jusqu’à ce que survint la solution suprême, le déluge, qui a tranché, en les engloutissant, cette question et bien d’autres. »