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plus de 36 millions d’habitants, qui tous aimaient le sucre. Le nom de ce peuple est perdu : nous l’appellerons Welche.

Comme leur climat n’admettait pas la culture du saccharum officinarum, les Welches furent d’abord fort embarrassés.

Cependant ils s’avisèrent d’un expédient fort étrange et qui n’avait qu’un tort, celui d’être essentiellement théorique, c’est-à-dire raisonnable.

Ne pouvant créer le sucre en nature, ils imaginèrent d’en créer la valeur.

C’est-à-dire qu’ils faisaient du vin, de la soie, du drap, de la toile et autres marchandises, qu’ils envoyaient dans l’autre hémisphère pour recevoir du sucre en échange.

Un nombre immense de négociants, armateurs, navires et marins étaient occupés à accomplir cette transaction.

D’abord, les Welches crurent bonnement avoir trouvé le moyen le plus simple, dans leur situation, de se sucrer. Comme ils pouvaient choisir, sur plus de la moitié du globe, le point où l’on donnait le plus de sucre contre le moins de vin ou de toile, ils se disaient : Vraiment, si nous faisions le sucre nous-mêmes, à travail égal, nous n’en obtiendrions pas la dixième partie !

C’était trop simple, en effet, pour des Welches, et cela ne pouvait durer.

Un grand homme d’État (amiral sans emploi) jeta un jour parmi eux cette terrible pensée : « Si jamais nous avons une guerre maritime, comment ferons-nous pour aller chercher du sucre ? »

À cette réflexion judicieuse tous les esprits furent troublés, et voici de quoi l’on s’avisa.

On se mit en devoir d’accaparer, précisément dans cet autre hémisphère avec lequel on craignait de voir les communications interrompues, un imperceptible lopin de terre,