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modistes, avocats, avoués, et, en particulier, cette classe innombrable d’hommes qui n’ont rien au monde que leurs bras.

Justement le hasard me servit, et je tombai au milieu d’un groupe d’ouvriers.

— Mes amis, leur dis-je, voici un précieux calepin. Veuillez y jeter un coup d’œil. Vous le voyez, d’après la déposition des protégés eux-mêmes, la France est moins riche par l’effet des lois de la Chambre du double vote qu’elle ne le serait sans ces lois.

Un ouvrier. Est-il bien sûr que la perte retombe sur nous ?

— Je ne sais, repris-je, c’est ce qu’il s’agit d’examiner ; il est certain qu’il faut qu’elle retombe sur quelqu’un. Or les protégés affirment qu’elle ne les frappe pas ; donc, elle doit frapper les non-protégés.

Un autre ouvrier… Cette perte est-elle bien grande ?

— Il me semble qu’elle doit être énorme pour vous ; car les protégés, tout en avouant que l’effet de ces lois est de diminuer la masse des richesses, affirment que, quoique la masse soit plus petite, ils prennent une part plus grande ; d’où il suit que la perte des non-protégés doit être double.

L’ouvrier. À combien l’estimez-vous ?

— Je ne puis l’apprécier en chiffres, mais je puis me servir de chiffres pour faire comprendre ma pensée. Représentons par 1 000 la richesse qui existerait en France sans ces lois, et par 500 la part qui reviendrait aux protégés. Celle des non-protégés serait aussi de 500. Puisqu’il est reconnu que les lois restrictives ont diminué le total, nous pouvons le représenter par 800 ; et puisque les protégés affirment qu’ils sont plus riches qu’ils ne le seraient sans ces lois, ils retirent plus de 500. Admettons 600. Il ne vous reste que 200 au lieu de 500. Par où vous voyez que, pour gagner 1, ils vous font perdre 3.