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— Et que penseriez-vous d’un fabricant qui, pour accroître son débit, ruinerait sa clientèle ?

— Je l’enverrais tenir compagnie à l’architecte.

— Permettez-moi donc de vous prier de jeter un regard sur ce calepin. Il renferme votre déposition et bien d’autres, d’où il résulte clairement que les lois restrictives émanées de la Chambre du double vote, dont vous étiez, ont fait la France moins riche qu’elle n’eût été sans ces lois. Ne vous est-il jamais tombé dans l’idée que si le monopole vous livre la consommation du pays, il ruine les consommateurs ; et que, s’il vous assure le débouché national, il a aussi pour effet, premièrement, de vous interdire dans une forte proportion vos débouchés au dehors, et de restreindre considérablement vos débouchés au dedans par l’appauvrissement de votre chalandise ?

— Il y a bien là une cause de diminution pour mes profits ; mais le monopole du drap, à lui tout seul, n’a pu appauvrir ma clientèle au point que ma perte surpasse mon bénéfice.

— Je vous prie de considérer que votre clientèle est appauvrie, non-seulement pas le monopole du drap, mais aussi, comme le constate ce calepin, par le monopole du blé, de la viande, du fer, de l’acier, du sucre, du coton, etc.

— Monsieur, votre insistance devient indiscrète. Je fais mes affaires, que ma clientèle fasse les siennes.

— C’est ce que je vais lui conseiller.

Et, pensant que le même accueil m’attendait chez tous les protégés, je me dispensai de poursuivre mes visites. Je serai plus heureux, me dis-je, auprès des non-protégés. Ils ne font pas la loi, mais ils font l’opinion, car ils sont incomparablement les plus nombreux. J’irai donc voir les négociants, banquiers, courtiers, assureurs, professeurs, prêtres, auteurs, imprimeurs, menuisiers, charpentiers, charrons, forgerons, maçons, tailleurs, coiffeurs, jardiniers, meuniers,