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que la restriction existe, il y a eu moins de bœufs en France qu’il n’y en aurait eu sans la restriction. »

De là je courus chez un maître de forges.

— Monsieur, ayez l’extrême obligeance de me dire pourquoi vous défendez si vaillamment la protection que la Chambre du double vote a accordée au fer ?

— Parce que, grâce à elle, je vends mon fer à plus haut prix.

— Mais alors, grâce à elle aussi, il y a moins de fer en France qui si elle ne s’en était pas mêlée ; car si la quantité de fer offerte était égale ou supérieure, comment le prix pourrait-il être plus élevé ?

— Il coule de source que la quantité est moindre, puisque cette loi a eu précisément pour but de prévenir l’invasion.

Et j’écrivis sur mes tablettes :

« De l’aveu du maître de forges, depuis vingt-sept ans, la France a eu moins de fer par la protection qu’elle n’en aurait eu par la liberté. »

Voici qui commence à s’éclaircir, me dis-je ; et je courus chez un marchand de drap.

— Monsieur, me refuserez-vous un petit renseignement ? Il y a vingt-sept ans que la Chambre du double vote, dont vous étiez, a voté l’exclusion absolue du drap étranger. Quel a pu être son motif et le vôtre ?

— Ne comprenez-vous pas que c’est afin que je tire meilleur parti de mon drap et fasse plus vite fortune ?

— Je m’en doute. Mais êtes-vous bien sûr d’avoir réussi ? Est-il certain que le prix du drap ait été, pendant ce temps, plus élevé que si la loi eût été rejetée ?

— Cela ne peut faire l’objet d’un doute. Sans la loi, la France eût été inondée de drap, et le prix se serait avili ; ce qui eût été un malheur effroyable.

— Je ne cherche pas encore si c’eût été un malheur ;