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a le choix entre les deux procédés ; votre mesure va le réduire à un seul, et probablement au plus mauvais, puisqu’on ne s’en sert pas. Ce n’est pas tout qu’il y ait de l’huile dans les ardoises, il faut encore qu’elle vaille la peine d’être extraite ; et il faut, de plus, que le temps ainsi employé ne puisse être mieux employé à autre chose. Que risquez-vous à nous laisser la liberté du choix ? »

Ici, les yeux de M. le maire semblèrent dévorer le Moniteur industriel pour y chercher réponse au syllogisme ; mais ils ne l’y rencontrèrent pas, le Moniteur ayant toujours évité ce côté de la question. M. le maire ne resta pas court pour cela. Il lui vint même à l’esprit le plus victorieux des arguments : « Monsieur le régent, dit-il, je vous ôte la parole et vous destitue. »

Un membre voulut faire observer que le nouveau tarif dérangerait beaucoup d’intérêts, et qu’il fallait au moins ménager la transition. — La transition ! s’écria le maire, excellent prétexte contre les gens qui réclament la liberté ; mais quand il s’agit de la leur ôter, ajouta-t-il avec beaucoup de sagacité, où avez-vous entendu parler de transition ?

Enfin, on alla aux voix, et le tarif fut voté à une grande majorité. Cela vous étonne ? Il n’y a pas de quoi.

Remarquez, en effet, qu’il y a plus d’art qu’il ne semble dans le discours du premier magistrat d’Énios.

N’avait-il pas parlé à chacun de son intérêt particulier ? De beurre à Jacques le pasteur, de vin à Jean le vigneron, de bœufs à Guillaume l’éleveur ? N’avait-il pas constamment laissé dans l’ombre l’intérêt général ?

Cependant, ses efforts, son éloquence municipale, ses conceptions administratives, ses vues profondes d’économie sociale, tout devait venir se briser contre les pierres de l’hôtel de la Préfecture.

M. le préfet, brutalement, sans ménagement aucun, cassa le tarif protecteur du pont d’Énios.