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LE LIBRE-ÉCHANGE

aussi enfin, cet interrègne de la loi dura trois à quatre années, pendant lesquelles la propriété littéraire fut mise au pillage.

En Angleterre comme en France, l’aspect de ces désordres amena la législation qui, à très-peu de choses près, régit encore les deux pays.

La Convention rendit, sur le rapport de Lackanal, un décret dont les termes méritent d’être cités. (L’orateur les commente.)

Cette dernière observation répond à une objection qu’on a souvent élevée contre la propriété littéraire. On dit : Tant que l’auteur a entre les mains son manuscrit, personne ne lui conteste la propriété de son œuvre ; mais une fois qu’il l’a livré à l’impression, doit-il être propriétaire de toutes les éditions futures ? chacun n’a-t-il pas le droit de multiplier et de faire vendre ces éditions ?

Messieurs, la loi ne doit être ni un jeu de mots ni une surprise ; il n’y a pas d’autre manière de tirer parti d’un livre que d’en multiplier les copies et de les vendre. Accorder cette faculté à ceux qui n’ont pas fait le livre ou qui n’en ont pas obtenu la cession, c’est déclarer que l’œuvre n’appartient pas à l’ouvrier, c’est nier la propriété même. C’est comme si l’on disait : Le champ sera approprié, mais les fruits seront au premier qui s’en emparera. (Applaudissements.)

Après avoir lu les considérants du décret, il est difficile de s’expliquer le décret lui-même. Il se borne à attribuer aux auteurs, comme cadeau législatif, l’usufruit de leur œuvre. En effet, de même que déclarer un homme usufruitier à perpétuité, c’est le déclarer propriétaire, — dire qu’il sera propriétaire pendant un nombre d’années déterminé, c’est dire qu’il sera usufruitier. Ce n’est pas un mot qui constitue le droit : la loi aurait beau dire que je m’appelle empereur ; si elle me laisse dans la situation où je suis, elle ne fait que proclamer un mensonge.