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LE LIBRE-ÉCHANGE

dernier pas ; elle est devenue individuelle. Chacun, sûr de recueillir le fruit de son travail, fait rendre au sol tout ce qu’il peut rendre. La population s’accroît en nombre et en richesse.

Dans ces diverses conditions sociales, la loi suit les phénomènes et ne les précède pas ; elle régularise les rapports, ramène à la règle ceux qui s’en écartent, mais elle ne crée pas ces rapports.

Je ne puis m’empêcher, Messieurs, de retenir un moment notre attention sur les conséquences de ce droit de propriété personnelle attaché au sol.

Au moment où l’appropriation s’opère, la population est excessivement rare comparée à l’étendue des terres ; chacun peut donc clore une parcelle aussi grande qu’il la peut sans nuire à ses frères, puisqu’il y a surabondamment de la terre pour tout le monde. Non-seulement il ne nuit pas à ses frères, mais il leur est utile, et voici comment : quelque grossière que soit une culture, elle donne toujours plus de produits, en un an, que le cultivateur et sa famille n’en peuvent consommer. Une partie de la population peut donc se livrer, à d’autres travaux, comme la chasse, la pêche, la confection des vêtements, des habitations, des armes, des outils, etc., et échanger avec avantage ce travail contre du travail agricole. Observez, Messieurs, que tant que la terre non encore appropriée abondera, ces deux natures de travaux se développeront parallèlement d’une manière harmonique ; il sera impossible à l’un d’opprimer l’autre. Si la classe agricole mettait ses services à trop haut prix, on déserterait les autres industries pour défricher de nouvelles terres. Si, au contraire, l’industrie exigeait une rémunération exorbitante, on verrait le capital et le travail préférer l’industrie à l’agriculture, en sorte que la population pourrait progresser longtemps et l’équilibre se maintenir, avec quelques dérangements partiels, sans