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l’intervention de la nature ; que la nature ne laisse au travail qu’une coopération supplémentaire très-restreinte, puisque c’est cette coopération seule qui se paye[1].

Ainsi, vous le voyez, Messieurs, l’économie politique bien comprise démontre, par le motif que je viens de dire et par bien d’autres, que chaque peuple, loin d’envier les avantages des autres peuples, doit s’en féliciter ; et il s’en félicitera certainement dès qu’il comprendra que ces avantages ont beau nous paraître localisés, — par l’échange, ils sont le domaine commun et gratuit de tous les hommes.

La claire perception de cette vérité réalisera, ce me semble, dans la pratique même des affaires, le dogme de la fraternité.

Sans doute, la fraternité prend aussi sa source dans un autre ordre d’idées plus élevées. La religion nous en fait un devoir ; elle sait que Dieu a placé dans le cœur de l’homme, avec l’intérêt personnel, un autre mobile : la sympathie. L’un dit : Aimez-vous les uns les autres ; et l’autre : Vous n’avez rien à perdre, vous avez tout à gagner à vous aimer les uns les autres. Et n’est-il pas bien consolant que la science vienne démontrer l’accord de deux forces en apparence si contraires ? Messieurs, ne nous faisons pas illusion. On a beau déclamer contre l’intérêt, il vit, et il vit par décret imprescriptible de celui qui a arrangé l’ordre moral. Jetons les yeux autour de nous, regardons agir tous les hommes, descendons dans notre propre conscience ; et nous reconnaîtrons que l’intérêt est dans la société un ressort nécessaire, puisqu’il est indomptable. Ne serait-il pas dès lors bien décourageant qu’il fût par sa nature, et alors même qu’il serait bien compris, un aussi mauvais conseiller qu’on le dit ? et ne faudrait-il pas en conclure qu’il a pour triste mission d’étouffer la sympathie ? Mais s’il y a harmo-

  1. V. tome IV, pages 36 à 45, et au tome VI, le chap. Concurrence. (Note de l’éditeur.)