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rerions qu’à Mugron. Puis, un instant après, comme s’il se fût fait un cas de conscience de son acceptation, il ajouta : « Vous vous sacrifiez pour moi seul, attendez-vous à toutes sortes de déceptions. »

Ces déceptions qui m’attendaient entre Marseille et Mugron, le scrupule exagéré qui les lui faisait entrevoir, m’eussent égayé dans tout autre moment.

La veille au soir il avait dit à son cousin qu’il désirait faire son testament et se servir du ministère du chancelier de l’ambassade. Cette résolution étant bien arrêtée dans son esprit, j’allai, un peu avant onze heures, chercher M. de Gérando, chancelier. Celui-ci ne put venir aussi promptement que nous l’eussions désiré. Il n’arriva qu’à 1 h. Notre malade s’était remis au lit. C’est de son lit qu’il déclara lentement ses intentions à M. de Gérando, s’inquiétant beaucoup, non seulement de les énoncer, mais de les motiver, ce qui était superflu.

… Pendant que le chancelier s’occupait de la rédaction définitive du testament, il me témoignait encore la crainte de n’avoir pas été compris. Pour le rassurer, je lui répétai, non ses propres paroles, mais le sens qu’elles exprimaient, et qui était fort clair. Alors il étendit son bras, posa sa main sur mon cou, attira ma tête près de la sienne, mon oreille près de ses lèvres, et dit en donnant à son faible souffle un accent inimitable : « Voyez-vous, Paillottet, ma tante, c’est ma mère ! C’est elle qui m’a élevé, qui a veillé sur mon enfance ! »

Le testament allait s’achever. Pour savoir s’il était en état de le signer, je lui remis une plume et une feuille de papier blanc sur laquelle il traça ces lettres : Frede… Nous vîmes qu’il pouvait signer, et en effet, il signa lisiblement.

Un instant après il me dit : « Je fais une réflexion. Mon oncle jouit actuellement de ma maison de Sengresse : je voudrais qu’il ne fût pas troublé dans cette jouissance, et j’aurais dû insérer une disposition à ce sujet dans mes dernières volontés. Il est trop tard. » Je lui promis de faire connaître ce vœu, et, d’après ce que j’avais ouï dire de Mlle sa tante, j’ajoutai que de son propre mouvement elle ferait pour son frère ce que son neveu désirait qu’elle fît.

À 2 h. 1/2, malgré la fatigue qu’il venait d’éprouver, il voulut