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étant le produit agricole le plus immense, et se comptant par deux ou trois milliards de revenu dans les produits du pays, si l’importation libre des blés étrangers pouvait venir faire en tous temps aux blés français une concurrence sans limites qui serait, quant aux prix, comme dix est à trente, la France cesserait à l’instant de produire des blés que nul ne voudrait acheter à leur prix, et trois milliards de revenu national et dix millions de cultivateurs français seraient anéantis du même coup. Que deviendrait le revenu ? que deviendrait l’impôt ? que deviendrait le propriétaire ? que deviendrait le laboureur ? On frémit d’y penser. Ce serait le suicide de la terre française et de la population. Ce remède qu’on nous présente, n’est donc pas un remède, c’est un meurtre. importation est vrai pour le blé, ce doit être vrai, dans une mesure quelconque, pour toute autre chose ; car, monsieur, les négociants font bien venir le blé, quand on le leur permet, de là où il est à meilleur marché qu’en France, mais ils n’ont pas coutume d’agir sur un principe opposé à l’égard des autres produits, et d’aller les acheter cher pour venir les vendre à bas prix. — Donc, la libre importation du fer serait le suicide de nos forges et des ouvriers qu’elles occupent ; la libre importation des tissus serait le suicide de nos fabriques et de la population qu’elles emploient. En un mot, la liberté serait le carnage universel ou, comme vous dites, le meurtre de tous les Français. En ce cas, je ne vois pas bien à quel titre vous l’appelez la vérité générale. Pour mettre quelque harmonie entre vos prémisses et vos conclusions, il aurait fallu commencer par établir que la liberté est le mensonge général du commerce. Mais alors vous n’auriez pas eu un pied dans chaque camp, précaution que beaucoup de gens prennent par le temps qui court, mais qui est indigne de vous. J’ose vous le dire, cette tactique pusillanime a fini son temps. Que celui qui ne connaît pas les lois de l’échange les étudie ou se taise, mais qu’il ne croie pas obtenir le double avantage de passer pour un grand esprit et de satisfaire tout le monde, en disant à l’un : « Vous êtes pour, c’est d’un bon logicien, » et à l’autre : « Vous êtes contre, c’est d’un bon praticien. » Trop de gens aujourd’hui voient l’inconséquence et la dénoncent.