Page:Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, Guillaumin, 1.djvu/481

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’on ne pourra plus compter sur la prévoyance qui n’aura plus rien de rationnel, la souffrance elle-même, sans cesser d’agir, n’agira plus comme châtiment, comme frein, comme leçon, comme force équilibrante ; elle perdra sa moralité, il n’y aura plus rien en elle qui l’explique et la justifie, et c’est alors que l’homme pourra sans blasphémer dire à l’auteur des choses : « À quoi sert le mal sur la terre, puisqu’il n’a pas de cause finale ? »

On peut faire sur la charité les mêmes remarques. D’abord, jamais la science économique n’a proscrit ni raillé l’aumône. La science ne raille pas et ne proscrit rien ; elle observe, déduit et expose.

Ensuite, l’économie politique distingue la charité volontaire de la charité légale ou forcée. L’une, par cela même qu’elle est volontaire, se rattache au principe de la liberté et entre comme élément harmonique dans le jeu des lois sociales ; l’autre, parce qu’elle est forcée, appartient aux écoles qui ont adopté la doctrine de la contrainte, et inflige au corps social des maux inévitables. La misère est méritée ou imméritée, et il n’y a que la charité libre et spontanée qui puisse faire cette distinction essentielle. Si elle a des secours même pour l’être dégradé qui a encouru son malheur par sa faute, elle les distribue d’une main parcimonieuse, justement dans la mesure nécessaire pour que la punition ne soit pas trop sévère ; et elle n’encourage pas, par d’inopportunes délicatesses, des sentiments abjects et méprisables, qui, dans l’intérêt général, ne doivent pas être encouragés. Elle réserve, pour les infortunes imméritées et cachées, la libéralité de ses dons et ce secret, cette ombre, ces ménagements auxquels a droit le malheur, au nom de la dignité humaine.

Mais la charité légale, contrainte, organisée, décrétée comme une dette du côté du donateur et une créance positive du côté du donataire, ne fait ni ne peut faire une telle