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N’oublions pas ces paroles : « La Russie ne pouvait se passer des produits anglais. J’exigeai pourtant qu’elle les prohibât. C’était une absurdité ; mais elle était nécessaire pour compléter le système. La contrebande se faisait ; je m’en plaignis ; on se justifia ; on recommença ; nous nous irritions. Cette manière d’être ne pouvait durer. »

Ai-je besoin, après ce qui précède, de faire voir la liaison qui existe entre le régime protecteur et la démoralisation des peuples ? — Mais sous quelque aspect que l’on considère ce régime, il n’est tout entier qu’une immoralité. C’est l’injustice organisée ; c’est le vol généralisé, légalisé, mis à la portée de tout le monde, et surtout des plus influents et des plus habiles. Je hais autant que qui que ce soit l’exagération et l’abus des termes, mais je ne puis consciencieusement rétracter celui qui s’est présenté sous ma plume. Oui, protection, c’est spoliation, car c’est le privilége d’opérer législativement la rareté, la disette, pour être en mesure de surfaire à l’acheteur. Si, dans ce moment, moi, propriétaire, j’étais assez influent pour obtenir une loi qui forçât le public à me payer mon froment à 30 fr. l’hectolitre, n’est-ce pas comme si j’exerçais une déprédation égale à toute la différence de ce prix au prix naturel du froment ? Quand mon voisin me fait payer son drap, un autre son fer, un troisième son sucre, à un taux plus élevé que celui auquel j’achèterais ces choses si j’étais libre, ne suis-je pas du même coup dépouillé de mon argent et de ma liberté ? Et pense-t-on que les hommes puissent se familiariser ainsi avec des habitudes d’extorsion, sans fausser leur jugement et ternir leurs qualités morales ? Pour avoir une telle pensée, pour croire à la moralité des quêteurs de monopole, il faudrait n’avoir jamais lu un journal subventionné par les comités manufacturiers, il faudrait n’avoir jamais assisté à une séance de la Chambre ou du Parlement, quand il y est question de priviléges.