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FABLE II.

La Carpe & les Carpillons.


Prenez garde, mes fils, côtoyez moins le bord,
Suivez le fond de la riviere,
Craignez la ligne meurtriere,
Ou l’épervier plus dangereux encor.
C’est ainsi que parloit une carpe de Seine
À de jeunes poissons qui l’écoutoient à peine.
C’étoit au mois d’avril : les neiges & les glaçons,
Fondus par les zéphyrs, descendoient des montagnes ;
Le fleuve, enflé par eux, s’élève à gros bouillons,
Et déborde dans les campagnes.
Ah ! ah ! crioient les carpillons,
Qu’en dis-tu, carpe radoteuse ?
Crains-tu pour nous les hameçons ?
Nous voilà citoyens de la mer orageuse ;
Regarde : on ne voit plus que les eaux & le ciel,
Les arbres sont cachés sous l’onde,
Nous sommes les maîtres du monde,
C’est le déluge universel.
Ne croyez pas cela, répond la vieille mère ;
Pour que l’eau se retire il ne faut qu’un instant :
Ne vous éloignez point, &, de peur d’accident,
Suivez, suivez toujours le fond de la rivière.