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ceux qui ont assez d’imagination pour en comprendre les hypothèses. Mais j’estime, et c’est peut-être ma faiblesse qui me le fait croire, qu’il est impossible d’y arriver. Au moins je sais que si quelqu’un en est capable, ce sont des personnes que je connais, et qu’aucun autre n’a sur cela de si claires et de si abondantes lumières.

La raison de cette extrême difficulté vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. Ils sont divers en tous les hommes, et variables dans chaque particulier avec une telle diversité, qu’il n’y a point d’homme plus différent d’un autre que de soi même dans les divers temps. Un homme a d’autres plaisirs qu’une femme ; un riche et un pauvre en ont de différents ; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un paysan, les vieux, les jeunes, les sains, les malades, tous varient ; les moindres accidents les changent.

Or, il y a un art, et c’est celui que je donne, pour faire voir la liaison des vérités avec leurs principes soit de vrai, soit de plaisir, pourvu que les principes qu’on a une fois avoués demeurent fermes et sans être jamais démentis.

Mais comme il y a peu de principes de cette sorte, et que hors de la géométrie, qui ne considère que des figures très simples, il n’y a presque point de vérités dont nous demeurions toujours d’accord, et encore moins d’objets de plaisir dont nous ne changions à toute heure, je ne sais s’il y a moyen de donner des règles fermes pour accorder les discours à l’inconstance de nos caprices.

Cet art que j’appelle l’art de persuader, et qui n’est proprement que la conduite des preuves méthodiques parfaites consiste en trois parties essentielles : à définir les termes dont on doit se servir par des définitions claires ; à proposer des principes ou axiomes évidents pour prouver la chose dont il s’agit ; et à substituer toujours mentalement dans la démonstration les définitions à la place des définis.

La raison de cette méthode est évidente, puisqu’il serait inutile de proposer ce qu’on peut prouver et d’en entreprendre la démonstration, si on n’avait auparavant défini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu’il faut de même que la démonstration soit précédée de la demande des principes évidents qui y sont nécessaires, car si l’on n’assure le fondement on ne peut assurer l’édifice ; et qu’il faut enfin en démontrant substituer mentalement la définition a la place des définis, puisque autrement on pourrait abuser des divers sens qui se rencontrent dans les termes. Il est facile de voir qu’en observant cette méthode on est sûr de convaincre, puisque, les termes étant tous entendus et parfaitement exempts d’équivoques par les définitions, et les principes étant accordés, si dans la démonstration on substitue toujours mentalement les définitions à la place des définis, la force invincible des conséquences ne peut manquer d’avoir tout son effet.

Aussi jamais une démonstration dans laquelle ces circonstances sont gardées n’a pu recevoir le moindre doute ; et jamais celles où elles manquent ne peuvent avoir de force.

Il importe donc bien de les comprendre et de les posséder, et c’est pourquoi, pour rendre la chose plus facile et plus présente, je les donnerai toutes en ce peu de règles qui renferment tout ce qui est nécessaire pour la perfection des définitions, des